L ' a r t est instrument de connaissance : il nous permet non seulement d'explorer les mondes intérieurs et extérieurs voire de les rendre évidents, mais aussi d'organiser nos perceptions afin de donner une cohérence à notre vision. Dans cette perspective, voici un résumé de mon travail des quatorze dernières années, qui mettra en relief les idé s et les découvertes qui m'ont amené à mon travail actuel.
La première série que j'ai commencé à peindre en Colombie, regroupée sous le titre "Portraits de société" figurait mon intérêt pour l'aspect social de l'homme, ses relations de pouvoir, de peur, de domination, de hiérarchie. Traitées d'une façon expressionniste, les figures s'imbriquaient les unes dans les autres en grandes masses c lorées, fortes et agressives, cherchant à mettre en lumière tant les rapports sociaux que les contradictions dont ils s'accompagnent.
A l'occasion de mon voyage en Europe en 1982 et après une période plus ou moins longue de nostalgie perceptible dans mes toiles, mon attention changea de direction, attirée par le monde intérieur. Les tableaux se peuplèrent de figures à la fois animales et humaines. Je me mis à peindre des bêtes féroces, je peignis le squelette, je peignis le double, le sacrifice et la mort ; cette nouvelle série se constitua plus tard comme ensemble sous l'intitulé "Les Sorciers".
Quelques années après, découvrant les théories comparatistes de Mircea Eliade, je fus surpris d'y rencontrer les thèmes et les images sur lesquels j'avais déjà travaillé.
En parallèle, je commencai à chercher des informations dans d'autres branches de la connaissance humaine qu'elle soit scientifique : biologie, psychologie, archéologie, physique nucléaire, ou sensible : occultisme, tradition orale, mythes et légendes.
Mon inspiration en fut enrichie. C'est pendant le travail sur une grande toile intitulée "Le Sorcier dansant" (1985) qu'un nouvel espace s'ouvrit à moi : vers les infinies constellations et les magnifiques interactions des forces de la nature.
Picturalement, le résultat fut désastreux. Le langag expressionniste utilisé jusqu'alors devint inopérant. Je me vis obligé de concentrer mes moyens plastiques sur le dessin. Les figures se fragmentèrent peu à peu pour être remplacées par des forces cosmiques : tempêtes , raz de marée, incendies, ouragans envahirent les peintures, donnant naissance à la série des "Eléments". Puisque l'hypothèse de travail était la représentation des puissances naturelles, j'en adoptai les éléments actifs - l'eau, le feu et l'air - comme véhicules.
D'abord, je me contentai de transcrire ce que mes yeux voyaient, c'est-à-dire les apparences de ces forces. Mais bientôt, cette approche se révéla insuffisante, ce qui m'obligea à me concentrer sur les qualités des éléments et leur modalité d'action. L'eau, fluide, profonde, dense, apparentée à l'image. Le feu, principe en expansion, facteur de transmutation. L'air, transparent, actif, pénétrant, lié au mouvement. Brisé en fragments, l'espace pictural perdit toute notion de profondeur, d'organisation, devenant un champ d'activité totale que seul le regard du spectateur pouvait ordonner. La couleur apparaissait sobrement et c'était la ligne qui déterminait l'espace, la surface, la transparence, le mouvement.
Les images s'éloignaient chaque fois davantage de la réalité quotidienne vers le monde des réalités abstraites.
C'est à partir de cette époque (vers 1987) qu'une forte conviction commença à se faire en moi : tout ce que l'on pouvait "dire" ou "savoir" de la réalité en rendait toujours une description incomplète, tout au plus accessible à notre époque, par le concept "d'énergie".
Face à moi, je trouvai un monde en continuelle transformation, en continuelle transmutation, en continuel devenir. Cette conviction vint accompagnée de ce sentiment particulier du sacré, dans lequel, tant l'observateur que !'observé participent des mêmes qualités. L'espace me semblait moins séparation que liaison, la réalité non pas fragmentaire mais unitaire (holistique). Je pense que cette perception du sacré a été le moteur du développement de mon travail actuel.
L'idée d'une concordance entre le monde intérieur et le monde extérieur me permit de poser toute une série d'hypothèses nouvelles. Entre elles, la possibilité que l'objet d'art se transformait en un "transmetteur" ou un "amplificateur", pour ainsi dire, de vibrations capables d'influencer et d'altérer l'ambiance d'un lieu ou l'esprit d'un observateur. Mais encore, du fait de cette concordance, on pouvait, à travers la forme, la couleur et l'image, produire des fréquences spécifiques qui favoriseraient l'éclosion de divers états de conscience. Cette notion est d'ailleurs à la base de la réalisation des objets liturgiques (icônes, livres de prière, mandalas) en tant que supports visuels de la contemplation.
Ma peinture en fut transformée de trois manières. Le premier chângement fut l'apparition de la symétrie, qui, étant donné la configuration du corps et du cerveau humain, nourrissait les "états pacifiques de l'esprit". Le second fut que le tableau ou l'objet n'était plus la représentation d'une réalité extérieure mais la "réalité en soi". Le troisième fut l'apparition de schémas d'oncles et de vibrations propres à un monde transparent et simultané.
Durant un songe éveillé, je parcourai sous forme d'énigme, mon évolution picturale. Au moment ou je réussissai à trouver la solution, les symboles et les formes (les matrices) qui constituent la grammaire de mon travail actuel appamrent.
Un point, (.) Les symboles masculins et feminins o o Trois formes radiantes qui respirent è) @) ® L'adoption de cette grammaire me permet de concentrer mes efforts sur la couleur et le 1ythme. Le premier par ses multiples possibilités de mélanges, de transparences, de contrastes, développe la gamme des émotions et des sentiments.
Le second joue sur la répétition des séquences. Cela sépare et en même temps renforce les plans, et accentue le lyrisme et la musicalité des ceuvres. Ces deux aspects contiennent les germes qui continueront à me faire sonder l'invisible.
Gustavo VEJARANO
Paris 1992