J ' a i fait la connaissance de Gustavo Vejarano il y a trois ans. Il était venu à la Biennale de 1982 et devait s'installer à Paris pour un séjour d'études financé par une bourse. Depuis lors, j'ai suivi l'évolution intéressante et cohérente d'une peinture marquée par différentes étapes.
Les premiers tableaux que je découvris, mettaient en scène des gens de la me, du marché. Grandes images puissantes, brillance des tropiques dans leurs couleurs. Les personnages étaient très bien campés et témoignant de l'excellente capacité de transposition de son don aigü de l'observation. Ce qui· devait encore m'impressionner davantage, c'était la sensibilité par laquelle la simple reproduction de faits extérieurs lui permettait de libérer une réalité intérieure.
A cette époque, les Gens étaient son sujet de prédilection. Dans le cadre d'une recherche méthodique de sa propre identité, l'artiste s'intéressait tout particulièrement aux sentiments élémentaires de l'existence humaine : laissant les fioritures pour se centrer sur l'essentiel, il fait tomber le masque et dévoile peur, insécurité et fragilité.
Du monde des apparences, le regard se tourna vers l'intérieur, sur des puissances et des lois cachées qu'il fallait découvrir. Les visages et les formes se dissolvèrent de plus en plus et devinrent difficilement cernables. C'est alors qu'apparaissent ces êtres de transition : hommebête. La bête, c'est le mouvement l'énergie et la force ; la conscience naturelle. Jusqu'où l'homme la contrôle-t-il ?
La question reste posée. Cet homme-bête, l'artiste l'appelle sorcier ou chamane en ce sens qu'il est capable de maîtriser ou de manier des forces paniculières, qu'il sait des choses que d'autres ne font qu'imaginer, qu'il a atteint la liberté du corps au point de pouvoir le quitter ou le transformer. Tout ceci témoigne d'un intérêt marqué pour d'autres niveaux de conscience et d'expérience, tendance nettement plus forte en Amérique Latine que chez nous (voir entre autres Cent ans de solitude).
Dans la série intitulée "Les Sorciers", Gustavo Vejarano traite de la dualité homme-femme, corps-âme et ombre-lumière.
Emergent ainsi beaucoup d'autres sentiments comme la dévotion, le renoncement, le don de soi. L'oeuvre "Sacrifice" en est un exemple En Europe, la palette se transforme. Les nuances restent subtiles, mais les oeuvres se font plus sombres, les tons plus sourds, la couleur flamboyante d'antan 11'.illumine que rarement les oeuvres. L'artiste découvre le noir avec lequel il n'a jamais travaillé êt il est fasciné par ses multiples possibilités.
Des forces élémentaires s'imposent sans transition aucune bien que le lien avec les chamanes soit très étroit. Des puissances de la nature prennent quasiment possession des oeuvres : ouragans, tempêtes, fleuves. Elles représentent non seulement le pouvoir cle la nature qui met en lumière nos limites et nos faiblesses, mais aussi le jeu intérieur de l'être humain, son agitation profonde.
Chaque étape a donné naissance à des oeuvres importantes et l'artiste pourrait être comblé. De bonnes toiles ne lui suffisent pourtant pas. Il ne s'attarde pas et il poursuit sa difficile quête. Tout cela me fait penser à un passage de Carlos Castaii.eda : "Pour moi, il n'y a qu'une seule chose : marcher sur des chemtns qui ont du coeur, sur chaque chemin qui peut avoir du coeur. Je le prends, et le seul défi gratifiant à relever, c'est de le parcourir sur toute sa longueur. Une fois que j'y suis, je marche, je regarde et regarde encore, le souffle coupé".
Ruta CORREA
Mai 1985